- Fabien Genet
Projet de loi dit "3DS"
Dernière mise à jour : 29 sept. 2021
Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit "3DS"
Le texte initial
En dépit de l’ambition de réforme territoriale affichée par l’exécutif et réaffirmée dans l’exposé des motifs du texte (« une nouvelle étape de décentralisation »), la réalité du contenu initial du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale est plus modeste.
Le PJL d’origine comprenait effectivement quelques mesures de décentralisation, affectant essentiellement les régions et les départements. Par exemple, les principales concernent la question du transfert des routes et des « petites » lignes ferroviaires respectivement aux départements et régions, la gestion des sites NATURA 2000, la gouvernance des ARS ou encore la tutelle des pupilles de l’État. Le texte comprenait également un nombre limité de mesures de différenciation, essentiellement une formalisation juridique du principe et quelques évolutions du droit des pétitions locales, et une poignée de mesures de déconcentration ; par exemple, pour ce dernier volet, via le renforcement du rôle du préfet dans le pilotage de l’ADEME et des agences de bassin.
Cependant, l’essentiel du projet de loi d’origine était composé d’un grand nombre de mesures présentées comme relevant de la simplification administrative, donnant au texte un format s’apparentant parfois presque à une sorte de « loi ASAP territoriale ». Ces mesures pouvaient être assez substantielles (volet coopération sanitaire transfrontalière, fonctionnement des institutions locales, recentralisation du RSA, contrôle des SPL, identification des MNA), mais sont souvent relativement circonscrites (volet outre-mer, raccordements aux réseaux d’assainissement, habilitation à réformer par ordonnance le droit de la publicité foncière), voire presque paramétriques (alignements d’arbres, statut de la Monnaie de Paris, TAAF).
La technicité apparente de certains changements, ainsi que leur nombre, ont cependant incité les rapporteurs à la vigilance : c’est ainsi que le transfert de certaines routes nationales aux départements est proposé par l’exécutif sans que la liste des routes concernées n’ait été disponible durant les travaux préparatoires des rapporteurs[1], ou encore que la possibilité pour les collectivités de participer à des investissements médicaux pourrait potentiellement se prêter à une instrumentalisation de la part de l’État.
Le volet financier de l’ensemble de ces dispositifs est très limité : plutôt que d’ouvrir réellement le chapitre financier des questions territoriales, le PJL d’origine se borne à prévoir que les extensions et créations de compétences seront compensées.
Aperçu global des travaux des commissions
La position des rapporteurs des différentes commissions était d’insuffler un surcroit d’ambition et d’envergure à un texte dont la portée initiale était assez limitée. Pour cela, ils se sont en particulier inspirés des 50 propositions et de la PPL pour le plein exercice des libertés locales, présentées à l’été 2020. Les orientations ainsi prises visaient donc à donner plus de marges de manœuvre pour les collectivités, à renforcer la participation de ces dernières et de leurs représentants aux processus de décision, mais aussi à consolider la place du préfet comme décideur au niveau départemental, plaçant le couple préfet/élu au cœur de l’action publique territoriale.
En plus de cette abondante source de propositions, les travaux des rapporteurs se sont aussi inspirés d’autres positions, historiques, de notre assemblée, comme par exemple sur la suppression du transfert de la compétence « eau » d’ici 2026. Cependant, l’insuffisance déjà évoquée du volet financier a malheureusement fermé de nombreuses avenues d’approfondissement de la décentralisation.
a) Un apport d’éléments inspirés de la démarche des « 50 propositions », tout particulièrement sur la question des compétences :
donner plus de flexibilité pour les mécanismes de délégation de compétences (article 3 bis), et assouplissant les règles de composition des CTAP, au bénéfice des élus locaux (article 3) ;
étendre l’application du pouvoir réglementaire local, par exemple en renforçant la portée juridique du règlement départemental d’aide sociale, en permettant aux régions de définir la composition du CESER, ou encore en assouplissant les marges de manœuvre des départements dans le versement du RSA (article 2 bis) ;
consacrer le principe selon lequel toute décision prise au niveau territorial relève prioritairement du préfet de département (article 46 quinquies) ;
donner un pouvoir de dérogation accru aux collectivités (article 46 bis) ;
permettre le transfert « à la carte » des compétences sur le territoire intercommunal (article 4 bis) ;
rétablissement du critère de l’intérêt communautaire pour la détermination de certaines compétences transférées aux EPCI (article 4 ter) ;
renforcer la cohérence de l’action de chaque niveau de collectivité, comme par exemple via le transfert aux régions d’une compétence de coordination du service public de l’emploi et de la formation (article 3 ter), ou la consolidation du rôle de pilotage des régions de la politique de l’enseignement supérieur et de la recherche (article 41 bis).
b) Une consolidation des dispositions du texte portant sur la décentralisation et la différenciation :
une formalisation juridiquement plus rigoureuse du principe de différenciation dans le CGCT (articles 1er et 1er bis) ;
un meilleur encadrement de l’assouplissement de certaines règles relatives aux pétitions et à la participation citoyenne, afin d’éviter leur instrumentalisation, en particulier dans les petites communes (article 4) ;
la création d’un comité État-régions national (article 3 quater) ;
la suppression du caractère obligatoire du transfert des compétences « eau », « assainissement » et gestion des eaux pluviales urbaines, en accord avec une position ancienne du Sénat (article 5 bis).
c) Plus de garanties pour le volet environnemental du texte :
une sécurisation de l’interopérabilité des lignes en marge du transfert de « petites » lignes ferroviaires et de leurs gares aux régions (article 9) ;
une extension de la capacité de proposition du conseil régional pour la création de zones NATURA 2000 maritimes et « hybrides » (article 13) ;
renforcement du nouveau pouvoir de police spéciale des maires pour les sites naturels protégés : il serait mieux sécurisé à l’égard de la possible intervention du préfet, mais pourrait aussi être, avec l’accord des communes, transféré au président d’EPCI (article 14) ;
une sécurisation de l’impact de l’évolution du régime des alignements d’arbres sur le droit de propriété (article 62) ;
une application différenciée, dans les communes de montagne, des plafonds d'abattage des loups définis au niveau national (article 13 quater).
d) Un volet logement renforcé et enrichi, en s’inspirant du rapport d’information Estrosi-Sassone / Létard « La loi SRU, ni totem, ni tabou pour un objectif mieux partagé » :
prolongation de la loi sans date butoir et en rattrapage glissant ;
réforme des exemptions ;
mise en place d'un rattrapage différencié et contractualisé via un contrat de mixité sociale (CMS) signé entre le maire et le préfet, l'EPCI et les bailleurs sociaux, dont le pivot serait le couple maire/préfet ;
suppression des sanctions : peines planchers et toutes les sanctions inefficaces et contre-productives (retrait de droit de préemption, des attributions...) et fléchage des sanctions financières (prélèvements), via une consignation des sommes sur le territoire pour le logement social.
Les amendements adoptés en commission des affaires économiques visent également à remplacer l’habilitation à légiférer par ordonnance sur le foncier solidaire par des précisions et améliorations « en clair » dans la loi, et à s’opposer à la dénaturation des organismes du foncier solidaire (OFS), dans la lignée de la position du Sénat au moment de l’examen de la PPL Lagleize (articles 28 et 28 bis).
e) Un rééquilibrage des dispositions concernant la santé, la cohésion sociale et l’éducation :
Modifications de la réforme proposée de la gouvernance des ARS proposée à l’article 31, notamment de son nouveau conseil d’administration : · permettre d’instaurer une co-présidence de ce conseil du préfet de région et du président du conseil régional ; · d’y équilibrer le poids des représentants des collectivités et de l’Etat, et d’y inclure des représentants des groupements de collectivités ; · de lui faire approuver le projet régional de santé.
remaniement des dispositions de l’article 32 permettant aux collectivités de financer des investissements d’établissement de santé, afin que ce dispositif demeure strictement volontaire, intervienne en cohérence avec le schéma régional de santé, et ne crée pas un risque d’instrumentalisation par l’Etat ;
la suppression de mesures insuffisamment préparées, comme l’expérimentation permettant la recentralisation du RSA (article 35), ou inopportunes à cet instant, comme le transfert des pupilles de l’Etat (article 56), ou encore jugées comme étant dépourvues de portée concrète suffisante, comme le transfert expérimental du pouvoir d’instruction des gestionnaires de collèges et lycées (article 41).
f) Une consolidation et un remaniement d’un volet « simplification » extensif, tendant parfois même à ajouter de la complexité, comme par exemple :
inscription « en clair » dans la loi de la révision des statuts du CEREMA (article 48) ;
suppression de dispositions qui constituaient en réalité des « complexifications inutiles », comme la révision des contrats de cohésion territoriale (article 47), l’obligation d’utilisation des bases d’adresses locales (article 52), ou encore certaines mesures relatives à la coopération transfrontalière (article 58) ;
l’assurance d’une meilleure protection des élus représentant leur collectivité dans une SPL contre le risque de condamnation infondée pour prise illégale d’intérêt (article 73 bis) ;
tout en approuvant globalement les orientations – assez peu ambitieuses – du volet ultramarin du texte, la commission a refusé de ratifier l’ordonnance portant ratification de la partie législative du CESEDA applicable outre-mer, en l’absence d’étude d’impact et d’informations suffisantes pour rendre les altérations effectuées lisibles (article 81).
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